Peut-on rire de tout ? Certainement pas. Un exemple : le mois de Novembre. C’est un mois très sérieux. Il nous attend au virage, au moindre mot de travers il vous givre les pare-brise, dénude les arbres caduques, grippe gratis les vieillards chenus, et recouvre les femmes de manteaux neigeux d’où seuls les pieds dépassent. Alors, pour s’en moquer, il suffit de trouver quelques aimables stratagèmes. Ainsi, l’air de rien, on pourra rire trente et un jours d’affilée, sauf le onze, jour de repos.
Les jours où les parapluies fument du haschich, le mauvais temps s’installe sur Pau. C’est l’époque de la fête foraine sur la place de Verdun. On joint novembre par le fil des chrysanthèmes, mais novembre est sourd comme un pot et l’engagé de la caserne Bernadotte, dans sa guérite, n’ose quitter son poste de peur que le général Hiver débarque à l’improviste. C’est une belle saison, où les arbres se délestent de leurs feuilles d’impôt. Raison pour laquelle ils passent l’hiver tout nus. Ce n’est pas très malin, un arbre, mais quand on peut y accrocher une balançoire, c’est un début de fête, sauf si les forains la transforment en foire d’empoigne pour concurrence déloyale. Alors, souvent, en provenance de la place Clémenceau, débarque monsieur Loyal, avec ses tigres, ses tigresses et ses tigrons. Dans les casemates des forains un grand charivari s’opère : on tire à la carabine, on pêche le canard, on se tamponne à tout-va, on s’enfuit dans la LGV fantôme, on consulte siné die Madame Violetta pour connaitre la date précise de la fin de la Crise Mondiale, et les animaux en peluche se font prendre par des pinces à sucre géantes pas très rigolotes. La grand roue se pavane dans cet univers débridé, les ampoules clignotent au soir comme les paupières des lecteurs d’AP, et les enfants se moquent des pommes d’api et de la barbe à papa car ils ne croient au père Noël qu’en janvier, quand les rois mages arrivent avec leur galette au beurre et leurs visages burinés, portant à bout de bras des cagettes dorées pour alimenter le brasero du général Hiver qui les renverra très vite à Bamako où le soleil de plomb coulera dans l’échec leur peau mate de migrants climatiques.
Les jours où la pluie ne tombe pas des nues, les pages sortent des livres. Ils s’exposent, bien au chaud, dans la jungle subtropicale du palais Beaumont. Ils cherchent des doigts et des yeux pour les caresser ; certains convoitent des bibliothèques en chêne de Patagonie pour y finir leurs jours, jamais ouverts, juste pour faire joli, avec un marque-page planté dans le recto verso. Mais on en trouve parfois de stupéfiants, qui sautent dans les mains et refusent sciemment de servir de cale à la bibliothèque branlante. Ceux-là aiment les étagères, les ménagères et les monsieur Loyal avec ses tigres, ses tigresses et ses tigrons. Ils aiment la ventilation, la fumée des parapluies, la buée des lunettes, la vue sur la montagne, la steppe et les horizons proches. Ils offrent gentiment les oeuvres complètes de leur auteur à des éditeurs scrupuleux, bien que ceux-ci soient un peu comme les balançoires accrochées aux platanes de la place de Verdun, suspendus au calendrier de la vente. Puis, après trois jours de festivités où la joie le dispute à l’opulence, qui elle-même se chamaille avec la luxuriance du papier glacé, les livres repartent rayonner sous les néons des vitrines, estourbis par tant d’expériences tactiles et visuelles en un si court laps de temps. Ils hivernent. Ils s’envoient des voeux de bonne année. Ils se critiquent mutuellement. Ils s’abandonnent dans la cervelle d’un lecteur, désertent celle des électeurs jusqu’au printemps prochain. Ils poursuivent leur chemin en traçant des ombres chinoises dans les esprits.
Les jours où l’orge de la bière devient amer dans les cimetières, on vendange dans le jurançonnais. Les charrettes sommeillent au bas des côteaux, les ciseaux chantent un opéra de Bizet sous les remparts des alignements de ceps, les grappes mordorées culbutent en vrac dans de grands paniers d’osier, Henri IV courtise Vinciane, reine des vigneronnes, dans le pressoir (en chantant un air de la Tordue portant ce titre). Depuis la grand roue de la fête foraine Ravaillac, ce jaloux, les observe, frissonnant d’idées vengeresses, ivre de bourret et goinfré de châtaignes rôties dans la locomotive du charbonnier des halles. Les rangs de vigne dansent, courbes sinueuses parcourant les coteaux, annihilant l’exhibitionnisme des liquidambars de la ville par des teintes plus variées qu’une palette de caméléon bamakois, embroché sur le brasero du général Hiver qui cherche à appâter quelques migrants climatiques friands de ce plat exotique.
On récolte le maïs pour attirer les palombes, on pleure la disparition de la paysannerie, le lait des vaches continue de tourner en bourrique pendant qu’on remplit les barriques, le ciel est bleu et les nuages annoncent l’automne des hommes, dont les parapluies fument du haschich pour rire comme des baleines.