Un texte qui remonte à deux millénaires et demi. Médée, magicienne, princesse orientale, petite fille du Soleil, est passionnément attachée à Jason. Elle a eu deux fils de lui. Elle a même été dérober la Toison d‘or pour lui. Et maintenant, Jason est prêt à l’abandonner pour Créuse, plus jeune qu’elle, fille du Roi Créon, car il pense qu’ainsi il aura le trône, ce qu’il espère avant tout. Folle de douleur, mais aussi de jalousie, prisonnière de ses passions et de son égarement, Médée sacrifie ses deux enfants, et tue Créuse et Créon. Jason peut ainsi être Roi, mais il s’effondre en pleurant, terrassé par le chagrin et la douleur. C’est alors une scène d’une intense humanité, où Jason, père endeuillé et inconsolable, et Médée, vengeresse intransigeante et indomptable se font face sans se comprendre ni se retrouver alors que, seuls désormais, ils pourraient tout recommencer.
Mais Médée s’en va vers l’Est lointain, éternelle fugitive.
C’est là qu’interviennent la puissance et l’originalité de la création de Mercedes Tormo.
A partir des différentes versions existantes de Médée, les textes d’Eurypide et de Sénèque, mais également le film de Pasolini, elle a créé une pièce originale à plus d’un titre. Tout d’abord, en faisant continuellement dialoguer Médéa, devenue âgée, avec celle qu’elle fut dans sa jeunesse, Médée. Tour à tour récitante, interprète de ses propres passions, pédagogue, Médéa éclaire la pièce en interpellant sans cesse son passé.
Puis, en imaginant le destin de Médée, allant jusque sur les bords du Gange. Elle devient alors une danseuse Indienne, interprète du Kathakali et du Môhiniyâttam, en hommage à la Déesse Bhadrakali et Bhagavathi, à la fois bénéfique et maléfique. C’est alors à un véritable spectacle total que l’on assiste, théâtre et danse entremêlés, magnifiquement interprétés par Corinne Mathou.
Enfin, la lumière, les volutes de fumée montant du sol et les couleurs qui inondent la scène donnent un relief particulier à l’intrigue. Il en ressort une dimension particulière, faite de mystère, de beauté plastique, et d’une grande force scénique.
Tout ceci étant servi par une langue simple, accessible, sans déclamation artificielle, ce qui nous rend le texte d’autant plus accessible, lutte éternelle des sentiments, peinture de la souffrance humaine entre infanticide et faiblesse masculine.
Au-delà de sa création, on souhaite longue vie à cette excellente interprétation, autour de Corinne Mathou en Médée (déjà citée), Françoise Delile-Manière en Médéa et Dominique Delavigne en Jason, et Laurent Aranda (pour la création des lumières).
A noter, enfin, à la fin de l’interprétation, le « Bord de scène », où la troupe, assise sur le plateau, dialogue avec le public en échangeant ses impressions avec lui. Ce qui permet de décoder la pièce, sa mise en scène, les intentions des créateurs, et d’en tester immédiatement l’impact sur les spectateurs.