Pour le citadin, le monde agricole est souvent très lointain. Il peut même paraître formaté avec sa banque, sa coopérative, son syndicat, sa chambre professionnelle. Si beaucoup d’agriculture se coulent dans le moule, il en est d’autres qui cherchent sans cesse des solutions pour offrir des produits plus sains aux consommateurs, les ravitailler directement et regagner ces marges qui leurs échappent tant. Jean Louis CAMPAGNE a fait de la vente directe, un de ses combats. Président du CIVAM 64 (Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu Rural), il revient dans cette tribune sur les démarches types AMAP, « parcelles solidaires », groupement de producteurs comme « Los d’Ací * » ou encore magasins de ventes directes. Rencontre avec un homme de convictions.
Alternatives Paloises - Comment démarrez-votre exploitation et avec quel type de produit ? Jean Louis Campagne - J’ai en fait rejoint l’exploitation de mon père à Momas dans les années 80. Il avait à cette époque un élevage laitier et un peu de haricots maïs et de volailles mais le revenu principal venait du lait. Il n’y avait pas assez de surface pour que je m’installe seul. On a donc décidé de se lancer dans le tabac blond en remplacement du lait. Pour sortir deux salaires, il fallait doubler le troupeau ce qui représentait trop d’investissements. Mon père aurait pu continuer à faire du lait mais je n’étais pas fait pour faire pendant 30 ou 40 ans les mêmes productions comme font certains. Après le tabac, je me suis lancé dans les pleurotes. Une aventure difficile sans encadrement technique ni circuits de commercialisation. Je le savais. Je l’ai assumé pendant 18 ans pour finir par revenir à nos productions plus marginales du début : le haricot-maïs et la volaille.
A@P - Vous vous lancez aussi dans d’autres combats comme celui du CIVAM 64 ... Jean Louis Campagne - Le formatage du monde agricole ne me convenait pas : une banque, une coopérative, un syndicat. (ndlr : le Crédit Agricole, la Coop de Pau, la FNSEA). Début des années 90, je souhaitais me lancer dans la vente directe et savais que le Syndicat ne m’aiderait pas, pas plus que la Chambre d’Agriculture. Un de mes collègues m’a alors introduit au SIVAM où j’ai connu une évolution technique et psychologique avec notamment la notion de vente directe. L’objectif était de récupérer les marges faites par les coopératives et la grande distribution. C’était aussi être plus en phase avec ce que je souhaitais réaliser avec mon métier : Produire des produits plus sains, même si je ne suis pas en bio, et être en contact direct avec les consommateurs plutôt qu’ avec un organisme qui me dicte ce que je dois faire. Le CIVAM était à l’origine un organisme de formation et de développement en agriculture qui aujourd’hui intervient beaucoup au niveau des AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne) en Béarn d’abord puis en Aquitaine. En Béarn, 130 producteurs sont concernés à des degrés divers selon leurs productions et regroupés en 40 AMAP qui approvisionnent 2500 familles. Le nombre d’AMAP a fortement augmenté en 2008 et 2009.
A@P - Les circuits courts, c’est de plus en plus vrai... Jean Louis Campagne - Oui, mais les producteurs qui veulent s’orienter sur cette forme de distribution veulent aller trop vite alors que c’est un choix qui demande de la maturation. Il faut intégrer qu’il conviendra de moins produire pour passer plus de temps à faire du commercial et changer ses pratiques. Il y a aussi des produits mieux adaptés à la vente directe comme ceux que l’on peut faire déguster. De bons vins, des fromages, des produits originaux comme la pleurote où l’argumentaire est plus facile ont un avantage indiscutable par rapport aux autres comme le poulet, le lait et les légumes.
A@P - Le CIVAM64 intervient dans bien d’autres domaines... Jean Louis Campagne - Suite aux AMAP, où nous nous sommes rendu compte que nous allions manquer de maraîchers et de producteurs, nous avons monté une couveuse agricole pour encadrer des jeunes qui n’étaient pas issus du monde agricole et souhaitaient se lancer. C’était la phase test avant installation. Il avait alors un parrain, du foncier, un statut et ils se mettaient en perspectives pour devenir agriculteurs ou chefs d’entreprises. Le foncier est également un sujet important de réflexion puisque chaque année, l’équivalent de la surface d’un département français en terres agricoles disparait. Notre rôle est de sensibiliser les élus afin de freiner, voire stopper cette tendance. Dans la même optique et, suite à la rencontre avec un éducateur, il nous est venu à l’idée de développer des « parcelles solidaires » à Pau pour, à la fois préserver des terres et en faire bénéficier des personnes issues de milieux défavorisés du quartier de Hameau. La ville de Pau nous a prêté du foncier près de la sortie de l’autoroute et l’éducateur s’est formé au maraîchage. Nous demandons aux bénéficiaires une toute petite cotisation annuelle de 15 euros pour adhérer à l’association. Ils font les semis, le désherbage et se partagent la récolte. De 40 bénéficiaires, nous espérons passer à 80 voire 100, l’an prochain.
A@P - La vente directe semble difficile à organiser... Jean Louis Campagne -Nous avons eu au niveau du CIVAM le mérite de monter des projets collectifs. Le problème, c’est que nous sommes très individualistes. Un exemple, le GIE « Los d’Ací * » est un groupe de producteur qui commercialise en commun, tout en étant axés sur la restauration. On peut aller y vendre ses produits mais si nous ne sommes pas présents, un autre collègue y vendra sa propre production. L’effet de groupe est difficile à construire. Si on n’y travaille pas, si on ne se donne pas du temps pour s’immerger avec d’autres producteurs qui partagent la même philosophie, cela capote assez vite. Chacun pensant plus à soi qu’au collectif.
A@P - Le CIVAM a cependant son magasin... Jean Louis Campagne - C’est un projet qui a un peu plus de 10 ans montés avec 10 associés dont 6 restent à bord aujourd’hui. Le magasin situé à Lee* accueille une quarantaine de producteurs béarnais et des départements limitrophes. On y trouve des producteurs en porc gascon, des salaisons, du proc classique, des volailles, des œufs, du piment d’Espelette, du cidre etc. Notre boutique est située au milieu d’un petit centre commercial avec un boulanger, un traiteur, un primeur et le poissonnier l’Hospital.
A@P - De nouvelles halles sont en gestation pour Pau, comment voyez-vous ce projet ? Jean Louis Campagne - Il y a une mise aux normes urgente à faire mais le nouveau plan de circulation pose aussi problème car les acheteurs ne peuvent plus se garer devant les Halles. Le carreau a une particularité, on ne peut pas y vendre de produits transformés en dehors des miels, fromages, confitures et un peu de pâtisserie (merveilles, pastis). Quelqu’un qui transforme du haricot-maïs, fait de la salaison ou des vollailles prêtes à cuire ne peut pas vendre au carreau ! C’est un héritage d’André Labarrère (ndlr : Un de plus !)