Aujourd’hui, c’est Noël. D’habitude, et plus précisement ce jour-là, on raconte aux enfants des histoires. Des contes. C’est-à-dire des histoires qui finissent bien. Pas des histoires vraies. Les histoires vraies, elles se font la guerre sous les ordres de généraux divers.
Ici, dans cette histoire, c’est un hiver sans feu de cheminée, sans crèche, un hiver de 1914, où les troupes anglaises font face aux troupes allemandes. Chaque soldat campe sur ses positions, se gèle, les croquenots dans la boue des tranchées, la cartouchière sanglée autour du corps, baïonnette au canon, la peur au ventre, dévoré par les poux. Le ciel est sans étoile, les bergers sont au front, comme les ouvriers et les piou-pious malchanceux partis la fleur au fusil, comme tous ces hommes qui ont vu de leurs yeux la boucherie, l’hécatombe, ont vécu ces combats terribles depuis le mois d’août, depuis le début du conflit.
Les hommes de la garnison anglaise, qui se moquaient des couleurs bleues et rouges des tenues des fantassins français (des capotes "poiret" en passant par les épaulettes des sous-officiers) -ils en changeraient en 1915 après s’être fait décimer comme des lapins (la tenue réséda testée en 1911 n’ayant pas été retenue comme vêtement militaire)-, à présent ne riaient plus. La couleur kaki des manteaux qu’eux-mêmes portaient était devenue uniformément à-plats de boue, de sang et de sueur. On mangeait des rats, de quelque bord que l’on se trouvât. Les lampes "Monjardet", les couvre-casques, les pistolets lance-fusées, les masques M2, tout était de teinte identique : glauque, létale. Le thermomètre était celui de la peur, pas celui du givre qui dessine sur les vitres des foyers ses fleurs fantasques et finement ciselées.
Froid tranchant des tranchées de l’enfer. Attente et folie meurtrière. Gaz moutarde et lettres de bien-aimées planquées dans la doublure de la capote, dans la poche à pansements, comme une ultime douceur avant le précipice de la douleur. Guerre. Hiver. Solitude. Désespoir. Histoires qu’à Noël on ne raconte pas aux orphelins, aux heures où les mères prient chaque jour pour le retour de l’homme, revînt-il estropié, manchot, à demi fou, qu’importe pourvu que ce soit lui, que ce soit ton père et mon mari, viens, mon fils, je vais te raconter une histoire, celle des hommes dans les tranchées, le jour de Noël 1914, dans les faubourgs d’Yprès...
Qui, soudain, fit signe aux autres de se taire ? John, Peter, Alexander, ou O’Grady ? Qu’importe. Silence, les gars ! Ecoutez, vous n’entendez rien ?
Si, si, oui... on entend... comme une rumeur ! Non, C’est un chant ! Merde ! Ca vient d’en face, des tranchées allemandes ! Les allemands chantent ! Attendez ! Ecoutez ! Oui ! c’est ça ! je connais cet air, les gars, c’est un chant, un chant de Noël...
Qui s’est levé le premier, John, Peter, Alexander ou O’Grady ? Qu’importe ! ce sont tous les hommes de la garnison, des colonnes entières. Et qu’ont-ils vu ?
Des sapins de Noël décorés, dressés le long des tranchées adverses par les allemands. De plus, ceux-ci avançaient, sans armes, sans animosité, jusqu’au milieu du no man’s land et les appelaient pour qu’ils se joignissent à eux, au milieu d’un champ de bataille, d’un paysage que les obus avaient dévasté.
C’était le matin du 25 décembre 1914, près d’Yprès, en Belgique. Les hommes fraternisèrent, s’offrirent des cadeaux, discutèrent, jouèrent au football.
En d’autres lieux, où britanniques et allemands se faisaient front, se déroulèrent ces mêmes faits, durant parfois plus d’une semaine... Jusqu’à ce que :
les autorités militaires y mettent un frein.Que les généraux reprennent leurs quartiers d’Hiver.
Ainsi cette trêve, appelée jadis "trêve de Dieu", (voulue par saint Louis en 1245 : l’église catholique romaine ordonnait alors que tous les conflits guerriers cessent durant la période de l’Avent à Noël), fut rattachée à l’expression couramment utilisée de nos jours, "la trêve des confiseurs".
Et comme il faut une fin fraternelle aux histoires qui ressemblent à des contes, messieurs Prévert et Montand, je vous en prie, à vous :
"Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara"
> le confiteor du général Hiver (conte de Noël)
25 décembre 2010, par claudiqus
Merci, AK Pô ! c’est dans les pires situations que les hommes parfois parviennent à faire la trève ...