Je suis assis dans un jardin. J’écoute les oiseaux. Le ciel est gris. C’est dimanche. Je n’irai pas à la messe, mais je reprendrai du café dès que j’aurai vidé ma tasse et boulotté ma tartine. Peut-être que le café que je me servirai tout à l’heure sera froid, si je tarde à dévorer ma tartine. Peut-être qu’entretemps un chasseur habile passera et tuera les oiseaux. Les plombs troueront les nuages gris et il pleuvra sur le jardin. La toile du siège sera si trempée, d’eau et, qui sait, de sang d’oiseau, que je n’oserai pas sortir de la maison.
Le téléphone sonne. Le poste est à côté de la cafetière, dans la cuisine. Un instant les oiseaux s’interrompent. Ils écoutent ce chant inconnu. C’est la saison des amours, pour les oiseaux, et ils pépient, s’interpellent et se défient. Les merles sont les plus volubiles. Les gens des villes confondent souvent les merles et les corneilles. Ici, les corneilles, c’est le nom qu’on donne aux curés. C’est dimanche. Je n’irai pas à la messe. J’écoute les oiseaux, assis dans le jardin. Le téléphone s’arrête de sonner. Le café refroidit. J’étale du beurre, et de la bonne confiture maison sur une autre tartine.
J’ai le temps. C’est dimanche. Des mésanges et des pinsons viennent picorer les miettes que j’ai jetées dans l’herbe. Le gazon du jardin est tondu. L’herbe courte et molle sous les pieds. Ai-je le temps de faire un aller-retour dans la cuisine, pour me resservir du café et voir qui a téléphoné, avant que ne passe le chasseur ? L’an dernier, c’est ce qui s’est produit. Des coups de feu sournois dès que j’ai eu tourné le dos. Mais c’était un lundi, et il faisait très beau. Cette année, il y a moins d’oiseaux, mais ils sont plus bavards, ou peut-être amoureux. Il faudrait demander à un ornithologue.
A nouveau, le téléphone sonne. Le merle perché sur le poteau télégraphique en béton s’envole. Ce chant l’inquiète tout à coup, il ne l’intrigue plus. Tasse en main, je bondis. Je décroche d’une main tout en me servant un pur arabica de l’autre. La cafetière est tiède comme une main de femme et la voix que j’entends froide comme une sentence. C’est le curé. Je ne suis pas une corneille, ni un radis noir. Mais vous, vous êtes un mécréant, m’admoneste-t-il. C’est dimanche. Je lui réponds occupez-vous de vos burettes, j’écoute les homélies des oiseaux.
Dehors, soudain, éclatent des coups de feu. La tasse m’échappe des mains, se brise net. La pluie commence à dégringoler. Le jardin devient une pataugeoire. Des filets de sang ruissèlent entre les touffes de gazon sauvage. Les nuages se vident. J’entends au loin les pas du chasseur marteler le sol en-caillouté, et son rire démoniaque et auto satisfait.
Tout est immobile, comme frappé de stupeur. Ma voix n’est plus ma voix, mes paroles expriment une colère noire. Est-ce le café, la tasse brisée ou le silence des oiseaux. Ou simplement ma révolte. Toi et ton frère, je vous hais ! hurlé-je dans le bigophone.
Puis je retourne dans le jardin. Un coucou chante dans les bois. Ma tasse est remplie d’armagnac. Aux nuages succède un grand ciel bleu délavé. Le silence règne.