Quand le téléphone a sonné, tout naturellement j’ai décroché. Oubliant dans l’instant que ce téléphone-là ne sonnait jamais, ou presque. Une voix masculine m’a demandé d’appuyer sur la touche étoile, au motif que j’avais reçu un important appel. Comme dans ma longue vie le nombre d’appels importants que j’ai reçus est conséquent, mon cervelet a de suite envisagé le risque encouru si j’appuyais sur la fameuse touche : m’attendait, pantelante, la fortune, le gros lot, le tirage au sort du ticket gagnant parmi des millions d’abonnés au téléphone, hommes femmes enfants lézards chèvres et moutons, exactement la même chose répétée aux heureux gagnants de la province Balpeau. Alors, par dépit, j’ai appuyé sur la touche fatidique. God bless America.
A l’autre bout du fil, j’ai entendu :
ma voix.
Un truc étrange qui n’avait rien d’un soliloque. J’ai allumé une cigarette, ai jeté un oeil par la fenêtre et la conversation s’est engagée. Je me posais des questions à voix haute et recevais les réponses par le tube (mon téléphone a une forme de masque de plongée avec tuba et lunettes-écouteurs étanches). Ainsi l’autre zigoto prenait un malin plaisir à m’envoyer des vannes quant à mon passé, narguait mon avenir, se foutait carrément de moi, un peu comme je le faisais dans ma vie courante ; mais se l’entendre dire est une tout autre affaire. Même si cela reste dans un cadre strictement personnel. Du coup, j’ai pris la mouche et me suis mis à mon tour à le traiter de ringard de petit rigolo de tartignolet et de cornichon (ce qui est, il faut le dire, une belle image pour désigner un téléphone et son propriétaire).
Moi qui pensais bien me connaître découvris qu’entre autres travers j’avais le sens de la dénégation. Je parvins même à faire hoqueter de larmes mon alter ego tant je l’assassinais de formules lapidaires. Comment peux-tu me dire ces choses-là, geignait-il, puis : si je t’avais en face je te ficherais une sacrée rouste ( et là, je me tordis d’un rire sardonique effrayant ). Bref la tension monta à un tel point que madame Dieu (qui s’occupait du Divin Standard ) dût intervenir. La ligne crachota, rendant l’échange inaudible.
J’avais connu madame Dieu suite à quelques accidents de voiture desquels j’étais sorti indemne. Une très jolie femme, un peu ronde mais dans le sens convenu des giratoires, donc plutôt à droite ( surtout pour ceux qui diabolisent la gauche ). Entre deux grésillements nous échangeâmes quelques nouvelles mon omnipotent Mari vieillit mal et la planète sent le roussi d’ailleurs je vais me faire une teinture, j’hésite entre roux, auburn et noisette, tu comprends, ces cheveux blancs qui émergent de Mon crâne finissent par Me déprimer, et Mon Divin Mari ferait bien de teindre sa Glorieuse Barbe couleur fraise, comme on le voit dans les fêtes foraines, là, au moins, on rigole, et toi, petit homme, comment se passe ta vie ? Eh bien, voyez-Vous (il faut garder une certaine distance avec les standardistes, fussent-elles divines) j’habite une petite ville de province avec vingt cinq pour cent de pauvres, un urbanisme à la va comme je te pousse et un festival à la con en plein mois d’août ; vous pourriez peut-être me faire gagner au loto, cette année, pour que je puisse fuir cette ville, non, je rigole, je sais que le budget du Paradis est sous scellés, et le montant des factures papales entièrement versées à la mafia terrestre, ah madame Dieu, les temps sont durs sur la Terre, heureusement les musulmans tirent la barbe du Prophète et les chinois se syndicalisent, bref l’espoir fait vivre, mais toujours pauvrement.
Là-dessus, mon cornichon d’alter ego reprend la parole. T’as pas honte, à ton âge, de demander à une femme certes céleste et divinement modelée par la main facétieuse d’un Dieu plutôt parkingsonien de te faire gagner au loto pour fuir ton petit pays et puis tu irais où, c’est partout pareil, tout est standardisé, pensée unique, money money, misère sidérale et luxe méprisant mais non qu’est-ce que tu racontes avec ce fric j’achèterais du sable, un peu de ciment bio ( ... ) et une bétonneuse solaire, j’irais chercher des galets dans le gave avec mes deux ânes et je construirais une maison remplie de fenêtres, de toutes les couleurs, comme Hundertwasser, avec des arbres sur le toit, des planchers en bois à peine rabotés et des fontaines qui traverseraient les pièces une maison dehors dedans mais à l’abri des hivers et des tempêtes je ferais ça pas comme toi qui me demande d’appuyer sur la touche étoile pour me corrompre l’esprit, pour me vendre je ne sais quelle cochonnerie sous prétexte que je suis l’heureux élu d’une quelconque manigance marchande. Bon, si tu le prends comme ça, d’accord : j’appelle de suite le directeur des ventes.
Soudain, une autre voix inonde ma trompe d’Eustache. Une voix roulante de tonnerre, assourdissante. Est-ce le directeur du festival à la con ? Non, c’est Dieu lui-même : je vous interdis de parler à ma Femme, Elle bosse, Elle, et vous feriez mieux de la boucler je suis peut-être vieux mais je pourrais encore vous mettre une bonne rouste (là, j’entends l’autre rire à côté du combiné, susurrer : bien dit, Chef) et une dernière chose, petit monsieur, quand on a un téléphone qui ne sonne jamais ou presque on ne risque pas de décrocher les étoiles. Alors débrouillez-vous vous même pour faire contre mauvaise fortune bon cœur.
j’adore les délires surréaliste d’AK Pô Surtout quand, du haut se son surréalisme, il envoie une giclée de ter-à-terrisme ("festival à la con en plein mois d’août") gratuit