De la Tchoukourova, de l’Anatolie, et même de la Pampa
Ils sont venus, grands, petits, écrasant sous leurs pas
Les chemins de cailloux, de sel et de soleil, abandonnant
Le devoir conjugal et la douceur des femmes, pour voir le sang
Couler dans les veines du gain, pour chasser l’infortune
De leurs vies misérables, en ce jour de paris leur promettant la lune.
Sont là les plus célèbres : Hadji le Brigand, Karayilan, Zaloglou Rustem,
Guizik Douran, Ben Laden, Corisco et Lampiao du Cangaçao, Post Mortem,
Le sabre à la ceinture, le turban pâle et le bicorne houleux, fiers,
Les yeux en feu, la bourse liée au devenir, muets comme des pierres.
Tous admirent ces coqs qui bientôt se battront, mourront, vivront
Plumes déchirées, agonisant dans la poussière noire, moribonds,
Sous le regard mendiant de ces hommes unis dans la violence
Pendant qu’au-dessus d’eux l’aigle de l’Anavarza tournoie et danse.
Des paniers d’osier surgissent les combattants, un masque sur les yeux.
Hassan débride Luch, l’archange des gallinacées, un tueur sans pitié,
Halil le Traître lâche Empath, le roi des basses-cours, son tyran déifié.
L’attaque est terrible, les ergots étincellent comme de purs diamants,
Le ciel s’obscurcit dans l’arène de Sabbah et ce sont deux amants
Qui maintenant se tuent et se déchirent, se volent dans les plumes.
Le spectacle est grandiose et les hommes jubilent, la terre, enfin, fume !
L’un des oiseaux soudain hocquète dans son sang. Est-ce celui d’Hassan
Ou d’Halil le Traître, ou seulement celui de ces perdants insanes ?
Pourquoi alors Hadji le Brigand sort-il le sabre de son fourreau,
Pourquoi Zaloglou Rustem, Karayilan, Guizik Douran, ces taureaux,
Arment-ils leurs mains de poignards menaçants et leurs regards de haine ?
L’aigle de l’Anavarza les contemple en silence, car il connaît leurs peines,
Il sait dans la misère puiser l’ardeur des corps et noyer les esprits
En d’inutiles quêtes, pour libérer le ciel de tous ces meurtriers : il glatit.
(juillet 2007)
Puis, le réveil enchanteur du mâtin :
La nuit passée avec Chinette, la compagne de John, fut une vraie lune de miel dont le petit matin comptabilisa les dards, les aiguillons et les chas. Ayant offert à sa complice un diamant de la plus belle eau remonté des mines du Betchuanaland par un nègre aux dents cariées, John pensa qu’ il lui serait plus facile ainsi de lui annoncer, au réveil, platoniquement, qu’ils étaient ruinés. En effet, licencié sans indemnité quelques jours auparavant de son entreprise de fabrique de jouets en béton, une multinationale, (en l’occurrence le groupe Bouygues, qui venait de sombrer au fond du CAC 40 et dont le patron s’était enfui dans les Pyrénées, se cachant parmi les ours dans un pays truffé de grottes), il avait décidé sur le champ de se reconvertir dans l’art vétérinaire.
Il déclara à Chinette, d’un ton blanc de gorge tombée dans une nasse, que sa décision était irrévocable, et que, de plus, il avait déjà trouvé une première cliente, une certaine O qui possédait et ne vivait que pour ses chats, trente cinq environ, la plupart estropiés, pelés et pleins de puces, mais polis avec les amis des animaux, s’ils montraient leur carte professionnelle en entrant dans le jardin. Il pratiquerait une méthode nouvelle de soins, consistant à prodiguer à la maîtresse des félins les mêmes attentions qu’elle-même les méritait, bien qu’elle en ignorât la méthode et la panacée. Chinette répondit qu’alors, pour nourrir le foyer désormais en difficulté, elle allait se lancer dans le métier prometteur de cartomancienne, métier comportant peu de risques, tout étant, en général, déjà joué d’avance. Sa décision était irrémédiable. Egalement.
Quelques heures plus tard, elle céda chez ma tante son pur diamant et courut s’acheter un jeu de tarot divinatoire, une boule de cristal, ainsi qu’une caravane vintage. Celle-ci fut installée sur le quai Henri IV, à proximité de chez l’oncle Joé, qui se trouva ravi de fournir ses goûteuses pizzas aux anchois accompagnées de cidre romand à Chinette. Le style gothique flamboyant des quais, des Porsche et des ventres gargouillants émergeant des portes cochères humides de pissats de chiens humains, d’humains sans chien aucun, convenait parfaitement à l’ambiance du quartier, et quelques brochures touristiques furent émises en temps et lieu, fabriquées par quelques faux-monnayeurs dépassés par les rendements de la planche à billet étatique en ces temps de crise.
Guido, l’ami de toujours, serait chargé de veiller, contre un peu de gas oil pour sa Lambretta, près de la porte de la caravane, au cas où certains clients, abusant de boissons hemingwayennes, confondraient la porte de sortie avec celle donnant sur la chambre adjacente au salon de voyance, après la consultation.
Dans la soirée, à quelques centaines de kilomètres de la caravane, un paupoète normand triturait un morceau de papier dactylographié en vidant quelques fioles de souchène. La lecture du "combat de coqs" avait ravivé son esprit belliqueux, et, l’alcool aidant, il propulsait ses yeux vers une page blanche et neutre, avec en tête une idée de contre offensive verbale, dont il n’avait encore trouvé que le titre : "un duel de poules". La malchance voulut qu’il but l’encre par mégarde et écrivit son récit au souchène qui, c’est de notoriété publique, ne laisse aucune trace ni dans les estylotests, ni dans les mémoires embrumées.