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Question de moyen

samedi 13 mars 2010 par AK Pô


Comme à son habitude, sur le coup de dix neuf heures vingt cinq, l’oeuf sautillait dans la poêle en compagnie d’une tranche de lard et du lait frémissait dans la petite casserole bleue émaillée dans laquelle une dose de purée toute faite viendrait choir avec sa pincée de sel et le râpé. La journée était bien finie, malgré les quelques rayons de lumière tardifs qui traversaient le vitrage de son T2 de la rue Rivarès, avec vue sur l’escalier en colimaçon du centre Bosquet ; la radio était branchée sur France-Inter, où débutait l’émission "le téléphone sonne", et la voix inusable de son animateur, qui devait à ce jour avoir passé l’âge de l’invention de l’onde accoustique tant ses paroles étaient roboratives, graillonnait en stéréo avec la gazinière.

Le maître des lieux gérait ainsi sa journée : au petit-déjeuner, bien avant sept heures, cours magistral d’un professeur du collège de France sur France Culture, auquel il ne pipait rien mais qui l’éveillait en douceur, a contrario des auditeurs qui assistaient réellement au cours et dont quelques baillements traversaient de basses les enceintes du poste, malgré le sifflotement de la cafetière. Durant ses allers-retours pour le travail, il écoutait France Infos, car des gens très bien, un peu tâtillons certes, mais instruits, le lui avaient conseillé (sans le lui dire pour autant). Depuis, il savait tout sur les quatre évènements quotidiens de la planète, par la force tourniquante et répétitive de nouvelles replacées toutes les dix minutes sur le prompteur du journaliste de garde. Puis, dans la nuit profonde, France Musique l’endormait sur des notes jazzy après de longues heures de classicisme soporifique.

Le sujet de l’émission du soir était médical : le cancer de la prostate peut-il avoir des influences néfastes sur la maîtrise budgétaire des crises de nerf sociales ? Les invités, sociologues, consultants en marketing, spécialistes en toux et azimuts, grands professeurs des Hopitaux de Paris, tous munis de leur petit bréviaire de librairie qu’ils devaient vendre aux auditeurs espantés lors du débat (sous peine de tomber dans l’oubli avant la grand’messe du vingt heures), se promettaient d’initier les plus atteints aux bienfaits de leur savoir et les ignorants récalcitrants aux dangers encourus par leur méconnaissance des probabilités d’en être atteint un jour. Le débat fut donc lancé, et les premières questions d’auditeurs (Françoise de Romorantin, Bernard de Juvisy, Romain de Carpentras) vinrent l’alimenter. La purée fumait dans l’assiette, sculptée à la fourchette en forme de volcan avec dans son cratère une noix de beurre fondant, cependant que l’oeuf miroir et la tranche de lard s’appuyant sur les contreforts jaunâtres répandaient leur gras en irisations chagrines. Le silence fatidique qui s’instaure toujours au moment précis où l’homme constate que son assiette est pleine et qu’il va goulûment pouvoir la vider fait partie prenante de la vie. Chaque être humain a connu cet espace temporel unique, où l’oeil dévore ce que la bouche n’a pas encore broyé.

Nous avons maintenant en ligne Marco, de Sao Paulo, allô, Marco, excusez-nous de vous avoir fait patienter au standard mais nous avons beaucoup d’auditeurs ce soir, je vous en prie, posez votre question. L’homme blêmit, la fourchette en suspens au-dessus du cratère. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites, les planètes constellèrent le plafond et il lui sembla que des escaliers en colimaçon du centre Bosquet un vent cyclonique descendait à la vitesse grand V, se dirigeant droit sur lui, emportant au passage le Monte-Charge et toute sa troupe, qu’un raz de marée frappait violemment les flancs de son volcan jaunâtre qui maintenant éclatait en mille brisures stellaires sur les murs, le placard, les étagères de la cuisine.

Marco,(se dit-il), réagis ! Tu dois absolument poser TA question, des millions d’auditeurs attendent impatiemment, certains dans l’espoir de guérir, d’autres de savoir pourquoi le sujet les captive alors qu’entre hier et demain personne n’est venu réparer TA ligne de téléphone, que tu n’habites pas à Sao Paulo mais à Pau, dans un petit appart minable mais si joliment décoré que même l’aspirateur, fidèle chien de berger, laisse les moutons paitre en toute liberté. Marco, Marco de Sao Paulo, vous nous entendez ? Votre appel vient de loin, mais nous avons des auditeurs dans le monde entier, car je vous rappelle (le temps que nous rétablissions la liaison) qu’en données cumulées des stations Radio France est seconde au niveau de l’Audimat après RTL, qui balance toutes les cinq secondes un message publicitaire comme ses concurrentes inutile de le rappeler chers auditeurs merci de votre fidélité. Bon, on me dit au standard que notre correspondant ne parle pas français. Professeur H., vous avez fait de longs séjours en Amazonie relative pour étudier le cancer prostatique des cariocas et ses conséquences sur la dégénérescence de la violence dans les favelas, un mot là-dessus ?

Marco se tord de douleur dans sa cuisine ; les mots ne veulent pas sortir. Seules des fourchetées de purée que le blanc d’oeuf lisse nourrissent sa bouche béante, la question reflue dans son gosier et le lard à l’épaisse couenne emprisonne ses hardiesses gutturales. Il devient ventriloque alors que tourne l’heure, que les questions abondent, que les bouquins se vendent comme des petits pains à l’étalage des connaissances. Sur le bout de sa langue, étrangère au débat radiophonique, pousse un bouton de fièvre. En léchant le parquet une écharde sournoise l’empêche de parler à son assiette vide que relaie le pic du Midi d’hertziennes micro-ondes. Trop tard, c’est cuit pour ce soir. Dans le lointain de ses oreilles le générique de fin drelin drelin résonne, la météo prédit pour demain une journée de chien et les infos rappliquent à l’heure de la vaisselle. Plein de dépit mais le ventre rempli, il se relève, ramasse sur la table en désordre les couverts et l’assiette, replie sa serviette et secoue la nappe par la fenêtre. C’est alors qu’avec nostalgie s’envole la question qu’il n’a pas pu poser :

A quoi bon ?

-par AK Pô

07 03 10


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Votre commentaire



de Pau à Pauk
13 mars 2010, par Marc  

Pau ... Sao Paulo... Au lieu de la grande métropole sud-américaine, on peut aussi rêver de se retrouver dans un temple de Pauk, une ville du nord de la Birmanie, que les logiciels de transport aérien confondent souvent avec la capitale du Béarn...

  • > de Pau à Pauk : Myanmar-rons nous, donc
    13 mars 2010, par AK Pô  

    Merci Marc, pour cette reflexion judicieuse. Je comprends à présent pourquoi, quand j’appelle madame Poques à Lamarque Pontacq, je ne comprends rien à ce qu’elle me raconte. smiley (je croyais que c’était la vieillesse) smiley Quant à Sao Paolo, c’est plus assorti avec Marco, pour le jeu de mots, bien sûr. Je suis vraiment primaire ! smiley

    J’avoue ma crainte, sous un autre aspect, que vous n’abordassiez le Programme d’Assainissement Urbain de Kinshasa, alimentant un nouveau débat ! J’aurais alors filé bille en tête à Perpignan prendre l’avion birman à destination du Congo...

  • > de Pau à Pauk : Myanmar-rons nous, donc
    13 mars 2010, par Maximo  
    T’as trop fumé les fleurs de Jeff Koons, AK smiley

  • > de Pau à Pauk : Myanmar-rons nous, donc
    13 mars 2010, par Autochtone palois  
    Maximo, AK Pô ne fume que du kapok, évidemment. smiley

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