Une lutte austère parfois s’inscrit dans les couples : l’un agit avec son intuition quand l’autre le fait avec sa conviction. Un sujet de bac qui franchirait le Styx, en quelque sorte.
"-Louise ! J’ai un mauvais pressentiment : cette nuit, j’ai entendu mes rêves rire. "-Ne t’inquiètes pas, Charles, c’était ton dentier qui dansait dans les bulles du verre que tu places chaque soir sur le chevet. "-Tu crois ? Pourtant, quand je m’en suis rendu compte, mes dents étaient dans ma bouche, j’en suis sûr ou presque. "-Il y a des choses qui se s’expliquent pas, Charles, le prix du gaz, la privatisation de la Poste, la pensée unique, le chant du rossignol, que sais-je encore, et personne ne dit pour autant : j’ai un mauvais pressentiment. "-Louise, tu confonds tout ! je ne parle pas politique, comme tu le fais en permanence, et ici le PS, et là le MODEM, et au fond de l’évier l’UMP, je te parle d’une chose bizarre que je ressens personnellement, un truc du genre rappel d’impôt ou contrôle fiscal, remise en route du service militaire obligatoire pour les seniors, obtention du permis de conduire sous condition de se tenir sur un pied les yeux fermés pendant une minute trente, tu vois un peu ? "-Je vois surtout que tu commences à devenir sénile ! Tu devrais faire un peu de sport. "-Du sport ? "-Oui, du sport, Monsieur le grassouillet ! Aller au marché, porter mon cabas, prendre le train en marche (le Pau-Oloron d’abord, pour t’entrainer), monter une petite boite de coaching pour arrondir nos fins de mois... "-C’est quoi, ça ? "-Le coaching ? Oh, c’est un truc pour se faire du fric sur des incapables qu’on fait semblant de prendre en charge pour les rendre incompétents. Un exemple :toi ; tu n’as jamais su faire correctement un noeud de cravate. Je te coache, je t’apprends à les faire si bien qu’à la fin tu t’étrangles. Et moi, j’hérite, car dans le contrat est stipulé que ton coach est ton légataire universel. C’est comme la scientologie. "-Je ne vois pas pourquoi je m’étranglerais ! "-Mon pauvre Charles, entre nouer un noeud de cravate et le dénouer, là réside toute la finesse. A-t-on déjà vu un pendu défaire sa corde, non ! "-Tu m’éblouis par ton sens pratique, ma Louise ! "-N’est-ce pas. D’ailleurs, je t’ai préparé un petit planning. Trois aller-retour Pau-Oloron quotidiens pendant six mois, le samedi la voie Nord-Sud dans le sens de la descente, le samedi suivant dans le sens de la montée. Ensuite, tu seras prêt pour la LGV et la A65. C’est un bon planning, non ? "-Sauf que c’est interdit aux piétons. "-Ne te fais pas de souci. Quand tu seras fin prêt, tu seras déjà un ange." Charles, pour lui :"je savais bien que j’avais un mauvais pressentiment !"